DANIEL ARTHUR LAPRES

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Le modèle canadien de la régulation de l'immigration :
à prendre ou à laisser ?

par

Daniel Arthur Laprès

1. - Introduction

 Dans le débat concernant la réforme de la loi sur l'immigration, le modèle canadien est souvent évoqué pour illustrer le potentiel d'une politique de sélectivité. Mais les mesures caractérisant l'immigration choisie à la canadienne ne pourront pas être transplantées en isolement de leur contexte ; aussi, est omise de la réforme française la catégorie d'immigrants atteignant l'apothéose de la sélectivité, celle des investisseurs.

Dans la compétition mondiale pour les travailleurs qualifiés, les Canadiens veulent des lois équilibrées pour protéger les réfugiés  et accueillir les immigrants, tout en réprimant les abus dans le respect des valeurs et normes en matière de responsabilité sociale. La Charte canadienne des droits et libertés consacre, inter alia, « le caractère multiculturel du Canada, et la nécessité d'appuyer le développement des communautés de langues officielles minoritaires ». La branche exécutive au niveau fédéral inclut un ministère dédié à l'administration de la politique d'immigration.

L'immigration engendre de profonds changements sociaux au Canada. Par exemple, le chinois a supplanté le français en tant que seconde langue la plus parlée au Canada. Après encore une génération, la majorité de la population de Vancouver, troisième agglomération urbaine du pays, sera d'origine asiatique. La Très Honorable Adrienne Louise Clarkson a été le premier chef d'Etat canadien d'origine chinoise.

Le taux optimal des flux migratoires est âprement discuté dans une abondante littérature traitant des enjeux et des conséquences économiques et sociales de l'immigration.  La pauvreté des immigrants au cours de leurs cinq premières années de présence sur le territoire s'est récemment aggravé par rapport à ceux observés au début des années 1990s. L'immigration clandestine demeure un fléau qui est exacerbé depuis le 11 septembre 2001 par les risques du terrorisme international. Les orientations actuelles font aussi l'objet d'un vigoureux débat politique et le nouveau Gouvernement fédéral dirigé par le Parti Conservateur pourrait chercher à réduire les flux d'immigrants.
 

2. ­ Le contexte de la politique d'immigration canadienne

 La première loi nationale sur l'immigration a été adoptée en 1869 surtout pour restreindre l'immigration en  pratiquant une discrimination raciale en particulier contre les asiatiques.  Ce n'est qu'en 1967 que la discrimination raciale et la poursuite de l'intégrité de la composition démographique ont été abandonnées. La réforme de cette année a introduit le système d'évaluation des candidats à l'immigration par l'application d'un système de points, lequel système perdure encore.

Depuis le début du vingtième siècle, les demandes d'immigration excédant les besoins, les autorités canadiennes ont régulé les flux d'immigrants en fonction de « la capacité d'absorption ».

La réforme de 1976 a consacré comme principes phares du régime canadien :

- la promotion d'objectifs économiques et sociaux, le soutien à la réunification familiale et la protection des réfugiés ;

- la distinction de quatre catégories d'immigrants : indépendants, famille, parents assistés et humanitaire ;

- l'établissement par le Gouvernement fédéral de quantités annuelles cibles pour les différentes catégories d'immigration et

- le partage de responsabilités avec les Provinces, ce qui a abouti à des accords tels que celui entre le Canada et le Québec attribuant à ce dernier l'administration des services d'immigration vers la Province.

À partir des années 1970 et en fonction des taux de chômage élevés et des taux de croissance faibles engendrés par les crises successives sur le marché du pétrole, les flux ont été ajustés à la baisse de sorte qu'en 1984, seulement 83.000 immigrants sont arrivés au Canada, niveau le plus bas atteint depuis deux décennies.
 
Mais, à la fin des années 1980s, ce modèle de régulation a été modifié et les admissions au cours des années 1990s ont dépassé les 200.000 par an, avant même que l'économie nationale n'ait été remise sur pied.

Depuis l'adoption des recommandations du Conseil Economique du Canada en 1991, la politique nationale vise l'admission annuelle d'un nombre d'immigrants permanents équivalent à au moins 1% de la population, sans que ce flux soit ajusté en fonction des conditions macro-économiques. Cet objectif est considéré comme un objectif « crucial pour l'avenir du Canada ».

Lors de la réforme en 2001 de la législation canadienne, l'immigration a été préconisée comme source de « diversité, de richesse et d'ouverture sur le monde ». La mondialisation de la main-d'oeuvre est considérée comme facteur de création d'emplois et de transfert de compétences dont peuvent bénéficier les Canadiens.

La réforme de 2001 a renforcé l'engagement à l'égard de la réunion des familles, « afin que les citoyens canadiens, les résidents permanents et les réfugiés puissent retrouver leur famille le plus vite possible ». Ainsi, la catégorie « famille » a été élargie par des mesures réglementaires comprenant une hausse de l'âge de l'enfant à charge, de 19 ans à 22 ans ; aussi, dans les cas du parrainage du conjoint, du conjoint de fait et des enfants à charge, le refus d'immigration ne peut plus être fondé sur le montant des soins de santé.

 Depuis l'adoption le 28 juin 2002 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la catégorie des immigrants admis en tant que résidents permanents est divisée en trois : les immigrants économiques (travailleurs qualifiés, les gens d'affaires, et les prestataires de soins à domicile), la catégorie des admissions familiales, et celle des réfugiés. En réaction à la recrudescence du terrorisme international, la loi a investi les autorités de pouvoirs d'intervention renforcés pour lutter contre la grande criminalité.

Les délais d'attente pour la délivrance de visas par les Consulats canadiens varient, selon les catégories de demande et des pays d'origine des candidats, entre 3 et 7 ans.

Actuellement, l'immigration contribue 60% de la croissance de la population canadienne.

Selon le recensement canadien de 2001, 18,4% de la population sont nés à l'étranger.

Entre 1995 à 2004, le Canada a admis annuellement en moyenne 125.220 immigrants économiques, les variations annuelles étant fortement corrélées à la baisse avec les crises économiques en Asie en 1997 et les attaques du 11 septembre 2001.

Depuis 1995, 50% des résidents permanents sont originaires de la zone Asie-Pacifique et ce même pourcentage a entre 25 et 44 ans. En 2004, presque 70.000 originaires des pays de la zone Asie-Pacifique ont été admis au Canada dans la catégorie économique.

Le revenu annuel moyen des immigrants ($ 29.337) se situe pratiquement au même niveau que celui des Canadiens ($ 29.952), et le taux de chômage des immigrants est le même que celui des Canadiens (7.4%). Ils sont surreprésentés dans la population titulaire de diplômes universitaires (29%) et normalement représentés dans celle des personnes n'ayant pas obtenu l'équivalent du Bac (19%).

La plus récente réforme canadienne en 2005 a facilité la transformation du statut d'étudiant en travailleur étranger à contrat à durée déterminée, et de ce dernier statut en résident permanent.

C'est dans ce contexte que le Canada pratique « un système de sélection des travailleurs qualifiés et des gens d'affaires immigrants ».

Est-il réaliste d'imaginer que la France réussira dans la concurrence internationale pour les travailleurs étrangers qualifiés sans leur proposer des conditions d'accueil équivalentes à celles proposées ailleurs, notamment pour l'accueil de leurs familles et en termes de tolérance pour leurs cultures ?

Actuellement, la France connaît le plus bas taux de migration annuel net (0,07%) des pays du G7 (devant le Japon à 0,01%) et bien en deçà de la moyenne (0,6%).  Entre 2001 et 2002, alors que la France a traditionnellement été créditeur des flux migratoires à l'intérieur de l'Union Européenne, le nombre de ressortissants des autres pays de la zone établies sur son territoire a même diminué de 1,2%.

Le Canada admet annuellement sur son territoire une quantité d'étrangers, toutes catégories confondues, correspondant à 1,3% de sa population alors que la France n'a admis en 2003 que 216.589 étrangers,  y compris les ressortissants des autres pays de l'Union Européenne, ce qui ne correspond qu'à 0,4% de la population française.

Pour susciter une demande d'immigration vers la France suffisante parmi le public ciblé à l'étranger pour que la sélectivité à la canadienne soit possible, comment évitera-t-on de tripler, au moins, le nombre d'étrangers annuellement admis sur le territoire ?

Considérant les différences des contextes nationaux, le modèle canadien de la sélectivité des immigrants économiques serait difficilement transposable en France, même à la supposer désirable.

Surtout les orientations de la réforme actuelle éloignent le cadre législatif français du modèle canadien.

La réforme en cours rallonge les délais avant que l'immigré ne puisse déposer une demande de regroupement familial de 12 à 18 mois (sans compter la durée d'étude de la demande qui est souvent d'au moins un an).

Elle ajoute des conditions pour l'obtention d'un titre de résident.

Pour autant la possibilité de mettre en oeuvre une politique de sélectivité est compromise car la France est rendue moins compétitive sur le marché global des travailleurs qualifiés et des gens d'affaires.
 

3. ­ La catégorie des gens d'affaires

Les volets de la politique canadienne manquant dans la réforme française par rapport à la sélectivité des immigrants correspondent à la catégorie « gens d'affaires », et plus particulièrement la sous-catégorie des « investisseurs », les deux autres sous-catégories (« entrepreneurs » et « travailleurs autonomes ») figurant dans la législation française avant même la réforme récente, bien que comportant des conditions moins attrayantes et des dénominations différentes.
 
En 2004, les programmes de la Province de Québec et du Gouvernement fédéral ont récolté des investissements de $ 272.000.000 et de $ 718.800.000 respectivement de la part des 2.477 principaux demandeurs et de leur famille.

 Les investisseurs proviennent de nombreux pays, dont la majorité de la Chine, de Taiwan, de la Corée et de Hong Kong.

 Tous les candidats dans la catégorie des « gens d'affaires » doivent obtenir environ 35 sur 100 points  attribués selon les critères suivants dans les limites indiquées:
Cinq années d'expérience méritent 35 points, le candidat entre 21 et 49 ans obtient 10 points, un diplôme Bac+3 justifie 22 points, la maîtrise de l'une ou l'autres des langues officielles vaut 12 points, la maîtrise des deux valant 8 de plus, et un voyage d'études préliminaire au Canada fait engranger encore six points.

 Le Programme d'immigration des investisseurs (PII) cible les personnes disposant d'actifs nets d'au moins $ 800 000 et dotées d'une expérience dans l'exploitation d'une entreprise.

 Les investissements qualifiant les demandeurs pour admission à la résidence permanente (au moins $ 400 000) sont versés au Gouvernement fédéral qui les rétrocède aux provinces et territoires pour créer des emplois et développer leur économie. Les provinces conservent les fonds pendant cinq ans et en garantissent le remboursement. Les investisseurs ne sont pas tenus de lancer une entreprise au Canada.

Pour être qualifié en tant qu'immigrant investisseur,  les demandeurs doivent :
 
- avoir géré une entreprise admissible en contrôlant un pourcentage de ses capitaux propres pendant au moins deux ans au cours des cinq années avant la date de la demande ou

- avoir géré au moins cinq salariés à temps plein (ou équivalent) par an dans une entreprise pendant au moins deux ans au cours des cinq années avant la date de la demande ou

- avoir combiné un an de chaque type d'expérience.

 Même les petites entreprises sont admissibles puisque leur chiffre d'affaires annuel doit excéder $ 500.000, leurs bénéfices annuels $ 50.000 et leurs actifs nets $ 125.000.

 Le Programme d'immigration des entrepreneurs attire  les immigrants expérimentés qui « participeront activement à la gestion d'une entreprise au Canada », qui contribuent au développement économique et qui créent des emplois. Au-delà de la preuve de leur expérience en affaires, les candidats doivent démontrer un actif net d'au moins $ 300.000.

 Pour se qualifier dans le cadre du programme d'immigration des travailleurs autonomes doivent avoir l'intention et la capacité de subvenir à leurs besoins par leur activité économique. Dans cette sous-catégorie, les autorités canadiennes incluent les sportifs professionnels et les professionnels de la culture ainsi que les demandeurs ayant l'intention et la capacité d'acheter et d'exploiter une ferme au Canada.

En vertu du nouvel article 313-10 du Code, la carte de séjour temporaire autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée entre autres aux étrangers

- qui viennent exercer une profession commerciale, industrielle ou artisanale à condition notamment qu'ils justifient d'une activité économiquement viable et compatible avec la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques et qu'ils respectent les obligations imposées aux nationaux pour l'exercice de la profession envisagée et à ceux qui

- qui viennent exercer une activité professionnelle non soumise à l'autorisation prévue à l'article L. 341-2 du code du travail et qui justifient pouvoir vivre de leurs seules ressources.

 Le nouvel article 315 du Code est annoncé comme créant une nouvelle catégorie de séjour "compétences et talents" pour l'étranger « susceptible de participer, du fait de ses compétences et de ses talents, de façon significative et durable au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, scientifique, culturel, humanitaire ou sportif de la France ou du pays dont il a la nationalité ». Elle est accordée pour une durée de trois ans et elle est renouvelable. Ce titre de séjour est attribué au vu des aptitudes de l'étranger, du contenu de son projet et en particulier de la nature de l'activité qu'il se propose d'exercer et de l'intérêt de ce projet et de cette activité pour la France et pour le pays dont l'étranger a la nationalité. Son titulaire pourra exercer toute activité professionnelle liée à son projet. Le conjoint et leurs enfants d'un étranger titulaire de la carte de séjour mentionnée bénéficient de plein droit d'un titre de séjour.

 En fait les étrangers candidats dans le cadre du nouvel article 315 du Code offre un premier titre de séjour rallongé d'un à trois ans par rapport aux dispositions déjà en vigueur. Mais, l'étranger satisfaisant aux conditions de la nouvelle disposition aurait vraisemblablement obtenu une autorisation d'immigration sous le régime en vigueur avant la réforme.
 

4. ­ Conclusion

 L'immigration sélective à la canadienne s'intègre dans un contexte historique et social dont on imagine difficilement la transposition en France mais sans lequel la sélectivité risque fort d'échouer.

 Par contre, il eût été judicieux de suivre l'exemple canadien d'admission au séjour des étrangers en échange d'un investissement minimal car un tel programme crée un facteur d'attraction des étrangers tout en les écrémant automatiquement, et il créerait une source publique de fonds d'investissement (éventuellement redistribués aux régions suivant l'exemple canadien), tout en minimisant le risque d'incompatibilité sociale et culturelle.

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