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Note sur l'affaire :

Louis Vuitton Malletier c eBay Inc. et eBay International AG

Tribunal de Commerce de Paris du 30 juin 2008

par

Daniel Arthur Laprès


1. - Introduction

Louis Vuitton Malletier, filiale du groupe de luxe LVMH qui commercialise dans le monde entier des produits de maroquinerie et de prêt-à-porter, reproche à eBay, la première plate-forme en ligne pour les ventes enchères de produits et services, avec plus de 248 millions d'utilisateurs répartis sur les cinq continents, d'avoir favorisé la contrefaçon par sa complaisance à accueillir sur l'ensemble de ses sites des annonces manifestement illicites et de lui avoir causé des préjudices d'environ 20 millions d'euros couvrant la période 2001 jusqu'au début du procès en 2006. L'action est menée contre eBay Inc., société holding du groupe eBay, qui est responsable de l'exploitation du site eBay et dont le siège est en Californie, ainsi que contre sa filiale suisse eBay International AG.

eBay a contesté la compétence internationale du Tribunal et affirmé respecter les obligations légales prévues en tant qu'hébergeur de sites. eBay a présenté des demandes reconventionnelles de dédommagement de € 10.000.000 pour le préjudice à son image et € 2.000.000 pour son préjudice moral causés par les accusations non-fondées de la demanderesse.

2. - Le jugement du 30 juin 2008
 
 Après s'être déclaré compétent, le Tribunal a condamné eBay Inc. et eBay AG in solidum à payer à Louis Vuitton des montants de € 7.920.000 à titre de redevance indemnitaire pour l'exploitation fautive de ses droits, de € 10.260.000 à titre de réparation du préjudice pour son image de marque et de € 1.000.000 à titre de réparation de son préjudice moral, tout en déboutant eBay de toutes ses prétentions et en ordonnant l'exécution provisoire de son jugement.

2.1. - Sur la compétence internationale

 Le Tribunal retient que Louis VUITTON ayant subi un préjudice au niveau de son siège social en France, la compétence du tribunal français est justifiée par rapport à eBay International AG en vertu de la convention de Lugano du 16 septembre 1988 et du Règlement n°44/2001 du 22 décembre 2000 pris en application de la Convention de Bruxelles de 1968.

S'agissant de sa compétence par rapport à eBay Inc., le Tribunal applique l'article 46 du Code de procédure civile disposant que le défendeur peut, en matière délictuelle, saisir la juridiction du lieu du dommage et que, selon la jurisprudence, la mise à la disposition du public français d'un site internet étranger constitue un événement causal suffisant, à lui seul, pour justifier la compétence des juridictions françaises. Puisque les annonces litigieuses d'eBay sont traduites en français et que les produits offerts à la vente sur son site sont livrables en France, le public en France est de toute façon visé et le Tribunal est compétent, si ce n'est que de manière superfétatoire, à ce troisième titre.

2.2. - Sur le fond

 Dès le premier paragraphe de la motivation de son jugement, le Tribunal souligne que la marque de luxe Louis Vuitton « bénéficie, après des décennies d'un travail considérable reconnu, d'une notoriété mondiale exceptionnelle la plaçant parmi les plus prestigieuses marques du monde ».

Alors qu'eBay avait revendiqué le statut d'hébergeur, selon la définition de l'article 6.1.2 de la loi du 21 juin 2004 relative à la confiance dans l'économie numérique pour s'exonérer de toute responsabilité, le Tribunal juge qu'eBay a le statut de courtier en ce qu'elle déploie « une activité commerciale rémunérée sur la vente des produits aux enchères ». Plus particulièrement, eBay met en place un « gestionnaire des ventes » et propose l'ouverture de « boutiques » en ligne ainsi que la possibilité de devenir « Power Seller ». Pour autant, eBay est « un acteur incontournable de la vente sur ses sites et joue un rôle très actif notamment par des relances commerciales pour augmenter le nombre de transactions générant des commissions à son profit ». eBay n'offre un service de stockage des annonces que dans le seul but d'assurer le courtage, c'est-à-dire l'intermédiation entre les vendeurs et les acheteurs, et de recevoir les commissions correspondantes.

D'autre part, le Tribunal juge que le régime de responsabilité dérogatoire des hébergeurs ne s'applique pas lorsque « le destinataire du service agit sous le contrôle ou l'autorité de l'hébergeur » ; puisque eBay agit principalement en courtier et offre « un service qui, par sa nature, n'implique pas l'absence de connaissance et de contrôle des informations transmises sur ses sites »,
elle ne saurait bénéficier d'un statut dérogatoire au titre de sa responsabilité.

eBay a commis une faute en participant à la commercialisation de marchandises contrefaites en ce qu'elle a « favorisé et amplifié leur commercialisation à très grande échelle ». eBay a manqué à « son obligation de s'assurer que son activité ne génère pas d'actes illicites », et a également manqué à « son obligation de vérifier que les vendeurs qui réalisent à titre habituel de nombreuses transactions sur ses sites sont dûment immatriculés auprès des administrations compétentes et, en France, au Registre du Commerce et des Sociétés ou au Répertoire des Métiers, ainsi qu'auprès des organismes sociaux ou autres ».

Le caractère contrefaisant des produits litigieux ressort des mentions du type « belle imitation d'un célèbre modèle Louis Vuitton », tout comme il peut être constaté par les prix pratiqués et les quantités offertes.

Louis Vuitton reproche à eBay d'avoir « délibérément refusé de mettre en place les mesures efficaces et appropriées pour lutter contre la contrefaçon, comme celles consistant à imposer aux vendeurs de fournir sur simple demande la facture d'achat ou un certificat d'authenticité des produits mis en vente, à sanctionner tout vendeur fautif en fermant définitivement son compte dès la constatation de la faute, à retirer immédiatement les annonces illicites signalées par les services de la société Louis Vuitton Malletier chargés de la lutte contre la contrefaçon ».

Les mesures correctives prises par eBay en 2006 « témoignent de sa négligence passée. . . et donc de la conscience de sa responsabilité pleine et entière ».

2.3. - Sur le préjudice

Pour évaluer le montant des préjudices subis par Louis Vuitton, le Tribunal s'est fié au rapport d'un « expert réputé réalisé cependant non contradictoirement ».

Au cours du trimestre d'avril à juin 2006, 149.739 annonces incluant la marque Louis Vuitton sont passées sur l'ensemble des sites de eBay et ont donné lieu à 96.581 ventes effectives à un prix moyen de € 96,50, engendrant pour eBay des commissions de € 400.682 €, soit € 1.602.729 par an. Selon une étude menée par Louis Vuitton, 90% de produits « Vuitton » offerts à la vente sur les sites de eBay sont contrefaits. En extrapolant ces recettes sur toute la période du 30 juin 2001 jusqu'au 30 juin 2006, et en y appliquant un coefficient multiplicateur de deux correspondant à un taux de licence majoré, plus un taux de capitalisation de 4% pour actualiser le montant de la redevance indemnitaire, le montant du préjudice a été jugé correspondre à la somme de € 7.920.000.

Bien qu'eBay ait contesté l'indemnité pour autant que la compétence du Tribunal devrait être limitée au préjudice de Louis Vuitton subi en France, le Tribunal s'étant déclaré compétent pour l'ensemble du litige posé sans limite territoriale, il a décidé de faire siens les chiffres de l'expert.

Le préjudice à l'image d'une société de « premier rang mondial opérant dans les produits de luxe » n'est pas évalué sur la base des investissements réalisés pour la promotion de ses marques, mais sur la base des revenus perçus par eBay au titre de l'insertion. Le Tribunal retient que « la vente de produits contrefaits sur l'internet dégrade l'image des produits de luxe des marques Louis Vuitton ». Il fait donc « sienne la méthode de calcul de l'expert. . . et applique un coefficient multiplicateur de quatre  prenant en compte la nécessité de contrecarrer l'atteinte à l'image » et condamne eBay à verser à Louis Vuitton la somme de € 10.260.000 € pour la réparation de son préjudice d'image.
 
Le préjudice moral a été causé par la vente massive de produits contrefaits sur les sites de eBay, ce qui a miné les efforts considérables de création et de qualité qui distinguent les produits Louis Vuitton, donc le Tribunal, « usant de son pouvoir souverain d'appréciation », a fixé le montant de l'indemnité due à ce titre à € 1.000.000.

3. - Conclusion

Le retentissant du jugement ne tient pas à son principe de responsabilité : eBay a dépassé le rôle d'hébergeur et par son exploitation de l'activité de courtier s'est ainsi rendu responsable pour réparer le préjudice causé par la promotion sur son site de produits contrefaits. Plutôt, la controverse risque de naître de l'acceptation de compétence par le Tribunal pour ordonner la réparation du préjudice mondial de Louis Vuitton. Le Tribunal a ainsi fait fi des personnalités juridiques distinctes des filiales du groupe Louis Vuitton dans les divers pays vers lesquels des produits contrefaits ont été livrés à la suite de ventes sur le site d'eBay.
 
 D'autre part, on peut regretter, dans l'intérêt de la justice et aussi de la concurrence, l'absence du procès devant le Tribunal de Commerce des vendeurs sur eBay de produits de grandes marques authentiques, représentant, selon les parties elles-mêmes, au moins 10% des ventes sur eBay. Il s'avère que les mesures adoptées par eBay en 2006 ont forcé la fermeture de certains opérateurs légitimes, qui se procuraient leurs marchandises de grandes marques dans des solderies s'étant approvisionnées auprès des grandes marques elles-mêmes. La question peut se poser de savoir de quel droit les grandes marques et eBay coopèrent à restreindre la liberté d'un acheteur d'un produit dans des circuits légaux de l'offrir à la vente, y compris sur les sites d'eBay.
 
 

DANIEL ARTHUR LAPRES

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