DANIEL ARTHUR LAPRES

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Quelle fiscalité pour le commerce électronique?

(Revue Droit Fiscal, Paris, Novembre 1997)



 
 

par
 

Marie-Antoinette Coudert
Maître de Conférences (Université de Paris 1 - IAE)

et

Daniel Arthur Laprès
Avocat à la Cour d'Appel de Paris
Barrister & Solicitor (Canada)
Maître de Conférences Associé (Université de Paris - IAE)



 
 

TABLE DES MATIERES

SYNTHESE

Introduction

 

I - L'application du droit fiscal actuel au commerce électronique

 

II - Réflexions prospectives sur la fiscalité applicable au commerce électronique

 
 

Notes

 

 
 



SYNTHESE


Le développement du commerce électronique pose aux autorités fiscales un défi.Faut-il imposer les transactions réalisées en cyber-espace, et comment?

On trouve dans les systèmes fiscaux existants les moyens de soumettre au prélèvement fiscal ce mode de commerce. Mais les échanges de flux numérisés sont, du moins, dans l'état de la technologie actuelle, difficiles à réguler et à contrôler. Devant les problèmes rencontrés, et les risques d'évasion fiscale massive qui en découlent, des solutions alternatives, allant de la défiscalisation à l`instauration de taxes spécifiques, ont été proposées.

C'est, de toute façon, seulement par la voie d'accords mondiaux qu'une solution à long terme devra être recherchée.



Introduction

1. - L'avènement du commerce électronique bouleverse le monde des affaires, même si le scénario du "tout virtuel" demeure utopique, à supposer encore qu'il soit souhaitable.

Aujourd'hui, les transactions en ligne 1 ne constituent pas un mode usuel d'échanges, mais leur croissance - l'internet jouant le rôle de catalyseur dans leur développement - est une certitude. 2. Selon le Département du Commerce américain, le marché mondial du commerce électronique correspondrait en l'an 2000 à environ 70 milliards de dollars.3 Certains experts français estiment que le chiffre d'affaires annuel du commerce électronique devrait atteindre au début du siècle prochain près d'un milliard de francs en France.4 Les prévisions les plus optimistes sur les échanges électroniques annuels à l'horizon de quelques années se chiffrent même en centaines de milliards de dollars.5 Les échanges internationaux annuels des produits et services liés aux secteurs des télécommunications et de l'informatique totalisent effectivement déjà plus de 1.000 milliards de dollars.6 Certes, à l'heure actuelle, toutes ces opérations ne sont pas conclues ou exécutées par voie électronique, mais, à l'avenir, c'est dans ces deux secteurs que le commerce électronique se développera le plus rapidement.

Les transactions en cyber-espace concernent tous les acteurs de la vie économique, des gouvernements aux consommateurs. l'Organisation pour la Coopération et le Développement €conomique (OCDE) analyse comme un "défi" ce nouveau mode de commercialisation. 7 Selon TIG Survey, environ 50% des opérations conclues sur l'internet correspondraient à des prestations immatérielles qui, de par leur nature, créent d'énormes difficultés de contrôle, et donc de régulation, notamment dans le cadre du droit fiscal. 8

En raison de l'ampleur de l'enjeu pour les Etats, de multiples problèmes se posent: doit-on pratiquer le "laisser faire" sur l'internet? comment, de toute façon, l'Etat peut-il efficacement réguler ce phénomène planétaire?

Le coût fiscal étant un des paramètres-clés de toute décision stratégique, la fiscalité du commerce en ligne est une des préoccupations majeures des Etats. Les questions fusent de toutes parts: qui imposer? comment et où? faut-il un régime de taxation spécifique pour ce nouveau type de commerce? le développement des flux d'unités de valeurs numérisées en cyber-espace par rapport au rythme des flux traditionnels, consistant essentiellement en biens physiques, doit-il entraîner un changement de système fiscal?

Afin de répondre à ces questions, nous examinerons la réglementation fiscale actuellement en vigueur (I) et nous nous interrogerons sur son adéquation aux objectifs de la politique fiscale appliquée au commerce électronique (II).

  • I - L'application du droit fiscal actuel au commerce électronique
  • A. - Les impôts indirects

    i - Les taxes sur la consommation aux Etats-Unis

    2. - Sont concernés les impôts indirects - taxes sur la consommation aux Etats-Unis, TVA, accises et droits de douane - et les impôts sur les bén&eacutfices.

    3. - La compétence fiscale au sein de l'Etat américain est constitutionnellement partagée entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des cinquante Etats.

    A l'heure actuelle, il n'existe aucune taxe fédérale sur la consommation . l'administration américaine est hostile à tout nouvel impôt frappant le commerce électronique, que ce soit sur le plan international ou sur le plan interne. Au niveau du Congrès, plusieurs propositions de loi ont été déposées par des représentants et des sénateurs sur les questions du cryptage et de la protection des valeurs morales, mais aucune nouvelle taxation du commerce électronique n'y est envisagée.

    En revanche, certains Etats, et même quelques collectivités locales, prélèvent des taxes sur le prix de vente des biens et services ("sales taxes") dont la gamme est plus ou moins étendue selon les €tats. Les €tats jouissent de la compétence ratione materiae sur les opérations commerciales dont les effets ne s'étendent pas aux échanges inter-étatiques (domaine fédéral). A l'heure actuelle, les €tats suivants appliquent une taxe sur la consommation à des services afférents à l'internet: Colorado, Connecticut, District of Columbia, Louisiane, Massachusetts, Ohio, Pennsylvanie, Tennessee, Texas, Washington et Wisconsin. 9 Ces taxes varient entre 2.5% et 6% et sont susceptibles d'être appliquées, par exemple, aux droits d'abonnement facturés par les fournisseurs d'accès à l'internet.10 d'ores et déjà les possibilités de forum shopping fiscal déterminent les stratégies concurrentielles de certaines entreprises. Des €tats envisageraient même, pour empêcher que des opérations locales l'échappent à leurs taxes par des routages électroniques inter-étatiques, d'assujettir les opérations des vendeurs à distance disposant de serveurs situés sur leur territoire quelles que soient les destinations des livraisons!

    ii - La TVA

    4. - Les pays de l'Union Européenne (UE) appliquent un système commun de TVA dont les modalités dépendent fondamentalement de l'objet de la transaction, bien ou service, et de la localisation de l'opération.

    5. - Lorsqu'il s'agit d'un bien (par exemple, un logiciel standard livré sur disquette, même s'il a été commandé en ligne), le régime des importations s'applique lors de l'entrée du bien sur le territoire communautaire. La TVA est acquittée au moment de l'introduction sur le territoire et le taux de TVA de l'Etat d'importation est appliqué sur la valeur de l'opération.

    Si la transaction a lieu entre des parties établies dans l'UE, l'exigibilité de la TVA dépendra de la qualité de l'acquéreur. La taxe sera due par le client assujetti qui la déclarera spontanément selon la procédure de "reverse charge". Par contre, si le client est un particulier, c'est le régime des ventes à distance qui s'appliquera. Contrairement au régime applicable entre assujettis, les ventes aux particuliers sont taxables du chef du vendeur, étant précisé que la TVA sera celle du pays de départ ou celle du pays d'arrivée, en fonction d'un seuil annuel de ventes hors taxes , 35.000 ou 100.000 €cus, au choix, fixé par le pays de l'acheteur. 11 Ainsi, à titre d'exemple, supposons un particulier qui commande d'Italie par l'internet un logiciel ou un CD distribué par une entreprise établie en France. Si les ventes à distance réalisées à destination de l'Italie n'ont pas excédé le seuil de 54.000.000 de lires, le prix sera facturé TTC au taux de TVA française; si le seuil est dépassé, le lieu de livraison sera l'Italie et le prix sera facturé TVA italienne, le fournisseur français devant alors se faire identifier en Italie et y désigner un représentant fiscal.

    6. - Lorsque la transaction a pour objet des services, trois modes de taxation ont vocation à s'appliquer.

    En règle générale, le lieu d'une prestation de service est réputé se situer à l'endroit où le prestataire est établi (6¡ directive, art. 9-1; art. 259 du CGI pour la France). c'est ainsi que les prestations liées à la commercialisation des produits et celles destinées à la consommation des particuliers sont soumises à la TVA en France, quels que soient la qualité du preneur et son lieu d'établissement, dès lors que le prestataire est établi en France. Par suite, les prestations réalisées par des entreprises établies dans un pays tiers ne sont pas soumises à la TVA même lorsque le preneur du service est établi en France ou dans un autre €tat membre.

    Il convient de noter, à cet égard, que les prestations de télécommunication étaient comprises, avant la décision du Conseil de l'UE 97/205 CE en date du 17 mars 1997 (voir infra), dans le champ d'application de l'article 9-1 de la Directive précitée. Pour éviter l'application de la règle, les opérateurs communautaires, grâce aux nouvelles technologies comme le système du call back, délocalisaient leurs activités en pratiquant l'offre commerciale à partir d'un pays tiers.

    Quand la prestation de services est matériellement localisable, l'article 9-2-c de la 6¡ Directive et l'article 259A du CGI pour la France prévoient des dérogations au principe. Parmi ces dérogations figurent les prestations culturelles, artistiques, sportives, scientifiques, éducatives et récréatives qui sont imposables au lieu de leur exécution matérielle (article 259A-4 du CGI).

    Dernier volet, les articles 9-2-e et 9-3-b de la 6ème Directive, ainsi que les articles 259B et 259C du CGI pour la France, prévoient un régime particulier pour les prestations de services dites "immatérielles". Parmi ces prestations on relèvera les prestations de publicité, le téléchargement de logiciels,12 le traitement de données et la fourniture d'informations et, enfin, les prestations de télécommunication.13 Le régime de ces services est très complexe car entrent en ligne de compte le lieu d'établissement du prestataire, le lieu d'établissement du bénéficiaire de la prestation (le preneur) ainsi que la qualité d'assujetti ou de non-assujetti de ce dernier. On ne présentera donc, pour clarifier l'exposé, que l'application des articles 259B et 259C aux prestations de télécommunication, étant entendu que les modalités de la taxation sont les mêmes quel que soit l'objet de la prestation dès lors qu'elle entre dans le champ d'application des articles précités.

    Par décision du Conseil de l'UE (voir supra), les €tats membres ont été autorisés à modifier les règles de territorialité applicables aux télécommunications. Ces nouvelles règles sont entrées en vigueur dans l'ensemble des €tats au plus tard le 1er juillet 1997, la France et l'Allemagne les ayant déjà mises en application (de façon anticipée) depuis le 1er janvier 1997.

    Dans l'instruction du 27 mai 1997 précitée, l'administration fiscale française précise le champ d'application des "prestations de télécommunication". Outre les prestations de télécommunication proprement dites - services téléphoniques, services télex, communications avec les mobiles, entre réseaux (télétex, transpac ...) etc. -, sont assimilées certaines prestations, parmi lesquelles on note

    "les abonnements permettant l'accès à un réseau du type internet et qui offrent un bouquet de services pour un prix global. Il en est ainsi lorsque l'abonnement donne accès à des services de base incluant notamment un service postal électronique (E-mail) la consultation de bulletins d'information variés, l'accès à l'internet ou l'utilisation d'un système de conférences électroniques."

    Le régime applicable aux prestations immatérielles telles que les télécommunications est pour l'essentiel le suivant.

    Ces opérations sont taxables dans le pays du preneur assujetti. Il en résulte que les opérateurs communautaires, qui rendent un service de télécommunication à un preneur assujetti établi dans un autre €tat membre, ne facturent plus de TVA, ce qui les met dans la même situation que les opérateurs des pays tiers. Le redevable est alors le preneur qui autoliquide la TVA due selon la procédure de reverse charge (déduction instantanée). Ainsi, ne sont pas imposables en France les services rendus par un prestataire établi en France à un preneur assujetti à la TVA dans un autre €tat membre ou établi dans un pays tiers.

    Si le preneur est un non-assujetti à la TVA, il y a lieu de distinguer trois situations:

    - si le prestataire est établi en France et le preneur domicilié dans un €tat de la Communauté, la taxe due doit être acquittée par le prestataire qui facturera TTC-TVA française;

    - parallèlement, si le prestataire est établi dans un autre €tat membre de l'UE et le preneur domicilié en France, la prestation sera facturée TTC-TVA du pays du prestataire;

    - enfin, si le prestataire est établi dans un pays tiers, et le preneur domicilié en France où il utilise le service, la prestation sera facturée TTC-TVA française par l'entreprise étrangère qui, redevable en France, devra désigner un représentant fiscal chargé d'acquitter la TVA à sa place (articles 259C et 289A-1 du CGI); à défaut de désignation d'un représentant fiscal local, la taxe est due par le preneur (article 289A-1 in fine du CGI).

    l'application des articles 259B et 259C du CGI assure donc, du moins en principe,la neutralité fiscale nécessaire à une concurrence équilibrée entre les opérateurs de l'UE et ceux des pays tiers.

    iii - Les accises

    7. - Parmi les accises les plus souvent collectées dans les pays développés, on recense celles sur les biens et services tels que le tabac, les produits alcoolisés, les jeux et les paris en tous genres. d'ores et déjà, les casinos virtuels ont pris 12% du marché américain. Selon certains experts, le marché mondial des casinos virtuels pourrait atteindre 16 milliards de dollars dès 1998. 14 On peut s'attendre à ce que les autorités fiscales rencontrent de grandes difficultés pratiques pour le recouvrement d'accises sur les paris effectués sur l'internet auprès de casinos virtuels situés dans des paradis fiscaux.

    iv - Les droits de douane

    8. - La Déclaration Ministérielle du 13 décembre 1996 dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) prévoit l'élimination progressive des droits de douane entre le 1er janvier 1998 et l'an 2000 sur la quasi-totalité des biens afférents au secteur de l'information entendu dans son sens large. La mise en oeuvre du plan était soumise à la condition suspensive de son agrément par des €tats dont les échanges correspondraient à un minimum de 90% des échanges internationaux du secteur. Le franchissement de ce seuil ayant été constaté le 26 mars 1997 par une Déclaration Ministérielle, l'accord est devenu définitif et entrera en application à partir du 1er janvier 1998. Cet accord lie notamment l'UE, la Suisse, la Turquie, les Etats-Unis, le Canada, le Japon, la Norvège, Hong Kong, Singapour, la Corée du Sud, l'Indonésie, et l'Australie. 15

    B - Les impôts sur les bénéfices

    9. - Selon la Convention modèle de l'OCDE, les résultats réalisés par une entreprise résidente d'un €tat qui a créé un établissement stable dans un autre €tat sont imposables dans ce dernier. l'article 5 de la Convention définit l'établissement stable comme "une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité".

    Ainsi la question se pose de savoir si une entreprise résidente d'un €tat, qui fait du commerce en ligne par l'intermédiaire d'un serveur situé dans un autre €tat, peut être considérée comme ayant créé un établissement stable dans ce second €tat, au sens de la Convention OCDE. Le serveur - système de gestion de données capable d'opérer comme une entreprise autonome - permet de localiser les revenus tirés de l'activité commerciale en ligne. Cette analyse est confortée par le commentaire de l'article 5 de la Convention OCDE qui précise qu'il "peut y avoir établissement stable si les activités de l'entreprise sont exercées principalement au moyen d'un outillage automatique". 16 Il est donc logique d'en conclure que l'exploitation d'un serveur est génératrice de profits imposables dans l'Etat où il est installé. Toutefois, dans la pratique, nombreux sont les propriétaires de serveurs qui l'ont pas la capacité de savoir quelles sont les opérations réalisées sur leurs serveurs.

    II - Réflexions prospectives sur la fiscalité applicable au commerce électronique

    10. - Comme on l'a précédemment constaté, les €tats peuvent trouver dans les systèmes fiscaux existants des moyens de soumettre à l'impôt les transactions électroniques. Mais ces moyens sont-ils vraiment adaptés au commerce électronique, du moins dans l'état de la technologie connue à ce jour?

    A. - Analyse critique de la situation

    11. - De prime abord, il pourrait sembler que l'application de législation fiscale en vigueur présente l'avantage de ne pas créer une situation discriminatoire de principe entre le commerce électronique et les autres formes de commerce. Toutefois les spécificités du commerce virtuel, et, partant, les difficultés pratiques rencontrées dans l'application des législations existantes, font craindre que le cyber-espace ne devienne un gigantesque marché d'évasion fiscale.

    De surcroît, dans un environnement électronique, il est aisé de délocaliser ses activités, de falsifier son identité pour échapper à la taxation. c'est ainsi qu'une firme multinationale peut installer un serveur dans un paradis fiscal (on parle de "cyber-paradis") pour réaliser ses activités commerciales à partir de ce serveur en franchise d'impôts, et ce, dans le monde entier.

    12. - En ce qui concerne la TVA sur les prestations immatérielles intracommunautaires destinées aux non-assujettis, le taux applicable est celui du pays où est établi le prestataire. Les opérateurs sont donc incités à situer leurs équipements informatiques distributeurs de services dans les pays de l'UE appliquant des taux de TVA relativement bas. Ce traitement est différent de celui des ventes à distance de biens qui comporte l'obligation pour le vendeur d'appliquer le régime de TVA du pays de destination (sauf chiffre d'affaires annuel minimal, voir supra n¡ 5).On suppose que le régime des seuils en matière de ventes à distance de biens a été conçu pour minimiser les distorsions de concurrence. Ainsi lorsque les ventes à distance de biens dépassent les seuils fixés, le taux de TVA du pays destinataire est appliqué. Certes la différence de traitement entre les ventes à distance de biens et les ventes à distance de services existait déjà. Mais l'importance de cette différence de régime ira grandissante avec l'essor du commerce électronique, d'où l'intérêt de réfléchir aux solutions adaptées à cette nouvelle forme de commerce. Ainsi on aurait pu imaginer que la solution appliquée aux ventes à distance de biens pour minimiser le risque de délocalisation soit transposée aux services immatériels, y compris les livraisons en ligne de services. c'est en ce sens que l'on peut s'interroger sur l'opportunité d'étendre à toutes les prestations immatérielles les seuils de chiffre d'affaires annuel au-delà desquels le régime de TVA serait celui du pays du preneur.

    Par ailleurs, les transactions portant sur des services immatériels, comme le téléchargement de logiciels et les télécommunications, entre opérateurs établis hors de la Communauté et leurs clients français non-assujettis, risquent d'échapper la plupart du temps à la TVA.

    Il est vrai que l'opération a des chances, à plus d'un titre, d'être soustraite au paiement de la taxe. Du côté du client, il est assez facile de déclarer qu'il est domicilié dans un pays tiers, notamment en évitant que son adresse électronique ne trahisse son lieu de résidence. Quant à la firme étrangère, sauf si elle possède déjà un établissement stable en France, elle n'aura pas le plus souvent de représentant fiscal, tout simplement parce qu'elle ne se préoccupera pas d'en désigner un. Or, en l'absence de représentant fiscal, le destinataire de l'opération est redevable de la taxe (CGI, art. 289A-I). On se demande bien comment les autorités fiscales pourront rechercher en paiement de la taxe les consommateurs de services en ligne! Certes elles pourront toujours s'adresser aux banques pour essayer de trouver la trace des paiements et l'identité des cybernautes. Mais, hormis l'ampleur exceptionnelle des moyens à mettre en oeuvre, le développement de la monnaie virtuelle compromettra sérieusement l'efficacité de toute "veille" de ce genre. En conclusion, l'Administration fiscale rencontrera des difficultés quasi-insurmontables pour exercer son contrôle tant sur les firmes étrangères non établies en France que sur leurs clients non-assujettis.

    B. - Propositions de solutions

    13. - Pour assurer la sécurité des transactions et permettre les contrôles, les Pouvoirs publics français 17 ont proposé la création d'un nouveau type d'intermédiaires, les tiers certificateurs ou tiers de confiance, qui seraient chargés de stocker les transactions commerciales, de garantir le cryptage des données, de s'assurer de l'authenticité des paiements et de communiquer aux autorités compétentes toutes informations utiles. Toutefois, le décret définissant le statut et le rôle de ces tiers de confiance l'est toujours pas publié à ce jour.

    14 - Pour contrecarrer les délocalisations destinées à éviter la TVA, certains experts européens ont proposé de créer une taxe proportionnelle au volume des données transmises lors d'une transaction sur l'internet. Il s'agit de la taxe sur les bits 18 qui se substituerait à la TVA. Parmi les nombreux problèmes rencontrés, on notera la difficulté technologique d'attribuer une valeur aux données et, partant, de distinguer dans un échange de données ce qui est imposable de ce qui ne l'est pas. La Commission de Bruxelles a, le 16 avril 1997, officiellement écarté cette idée au motif que, le commerce électronique étant déjà assujetti à la TVA, il n'y avait pas lieu d'envisager une nouvelle forme de taxation spécifique à cette activité.19

    15. - S'orienter vers une défiscalisation complète du commerce électronique est une solution possible. Certes, en ce qui concerne les droits de douane, le libre-échange international sera instauré pour le plus grand nombre des pays développés entre le 1er janvier 1998 et l'an 2000 pour la quasi-totalité des produits liés aux secteurs des télécommunications et de l'information. Mais renoncer à percevoir tout impôt sur le commerce électronique sous prétexte que les règles fiscales actuelles sont trop complexes ou inadaptées aboutirait automatiquement à créer une distorsion de traitement non économiquement justifiée entre le commerce traditionnel et le commerce virtuel.

    16. - Tant que n'aura pas été mis en place un ensemble de normes internationales attribuant la compétence fiscale et définissant les conditions d'entraide administrative, les dysfonctionnements subsisteront.

    Ni la technologie ni le marché du commerce électronique ne sont mâtures aujourd'hui. On devra donc s'habituer aux tâtonnements des administrations fiscales dans leur recherche d'un régime adapté à ce nouveau mode de transaction. En tout état de cause, il faudra plusieurs années pour négocier les accords internationaux indispensables à la lutte contre l'évasion fiscale en cyber-espace.


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    NOTES




    1. Nous entendons par transactions en ligne tous échanges effectués au moyen de transmission interactive par câble ou onde hertzienne de signaux radio-électriques sur des réseaux ouverts (internet) ou plus au moins fermés (extranets et intranets). Par ailleurs, en ce qui concerne l'attribution de compétence de tutelle sur le commerce électronique en France, elle dépend du degré de diffusion des signaux: les communications point-à-point (typiquement les communications téléphoniques) sont sous la compétence de l'Autorité de Régulation des Télécommunications, alors que les communications point-à-multipoints (typiquement la diffusion télévisuelle) sont placées sous l'égide du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel. C'est ainsi que des conflits de compétence sur le commerce électronique sont prévisibles car il peut se pratiquer sur des réseaux plus ou moins ouverts.

    2. Le Commerce Electronique, OCDE, 1997.

    3. Cité par Graeme Browning, Dragnet, National Journal, 17 mai 1997, p. 978 .

    4. F. Fillon, Discours d'inauguration de la conférence sur "Le Commerce Electronique 96", 22 octobre 1996, p. 1.

    5.Op. cit., note 3, p. 978.

    6. Voir chiffres GATT, Communiqué de presse, du 27 mars 1997, p. 2. Mais même ce chiffre est une sous-estimation de l'importance potentielle du secteur des multimédia car il devrait comprendre aussi les échanges locaux et le chiffre d'affaires liés à l'audiovisuel. Ainsi, tous les experts s'accordent sur l'importance future de la distribution de programmes audiovisuels par l'internet. D'ores et déjà des systèmes de distribution de programmes de télévision par l'internet sont en service aux Etats-Unis (Web TV, par exemple).

    7. Supra, note 2.

    8. Jeffrey Owens, The Tax Man Cometh to Cyberspace, International Tax Programme Symposium on Multi-jurisdictional Taxation of Electronic Commerce, Harvard University, 5 avril 1997.

    9. D'autres €tats ont des projets de taxe à l'étude: Californie, Illinois, Iowa, Maryland et West Virginie. Graeme Browning, Dragnet, National Journal, 17 mai 1997, p. 979.

    10. Idem.

    11. En outre, le prestataire peut opter pour l'application du régime de TVA du pays d'arrivée même si le seuil n'est pas atteint. Ces seuils ne sont pas applicables aux produits soumis à accises (huiles minérales, alcools, tabacs exclusivement) qui sont toujours taxables dans le pays d'arrivée.

    12. Voir l'instruction du 16-2-96, BOI, 3A-1-96, concernant les logiciels transmis en l'absence de support matériel.

    13. Cf la loi de finances pour 1997, article 19 et l'instruction du 27 mai 1997, B.O.I., 3A-4-97, sur les prestations de télécommunication; voir à ce sujet, Les services de télécommunications et la TVA, D.Keller, Notes Bleues, n¡ 115, juillet 1997.

    14. Dennis Mills, Membre du Parlement canadien, promoteur de la légalisation du jeu sur l'internet, cité dans Dragnet, National Journal, 17 juillet 1997, p. 979.

    15. L'UE avait déjà unilatéralement prononcé la suspension temporaire à partir du 1er juillet 1996 des droits de douane sur un grand nombre de biens industriels afférents au secteur de la micro-électronique, Règlement (CE) n¡ 1255/96 du 27 juin 1996.

    16. Voir Modèle de convention fiscale concernant le revenu et la fortune, Comité des Affaires Fiscales de l'OCDE, Paris, mise à jour du 1er mars 1994, p. C (5)-22.

    17. V. Fillon, Discours sur le commerce électronique précité.

    18. L. Soete et K. Kamp, The " Bit Tax": the case for further research, Université de Maastricht, ao*t 1996.

    19. Tax Planning International Review, volume 24 (5), mai 1997, p. 29.



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